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Corbeaux et terroristes à Salers sous la Révolution
(2 novembre 1795) 

« Terroristes », « persécution », « terrasser », « tyran », « fureur »… le vocabulaire est fort, les expressions violentes, et interrogent le lecteur d’aujourd’hui sur la nature du crime dénoncé dans cette lettre anonyme trouvée dans la maison du citoyen Raymond Claux, maire de Salers, le soir du 11 brumaire an IV (2 novembre 1795). « La mort plutot qu’un tel sort, nous perirons touts (sic) avant qu’un seul de nos ministres perisse » ! Mais qui veut tuer qui ?
 
Nous sommes en 1795 et la Convention nationale, qui avait été mise en place trois ans plus tôt pour donner une constitution à la France, s’apprête à laisser la place au Directoire, composé de deux assemblées, le Conseil des Cinq-Cents et le Conseil des Anciens. La Terreur et sa politique de déchristianisation appartiennent donc au passé. Dès 1790, la Constitution civile du Clergé avait porté un coup aux religions et avait monté le clergé et le peuple des campagnes contre la République, en imposant aux ministres du culte un serment à l’Etat. Mais à partir de 1793, les mesures se radicalisent et le christianisme devient la bête noire des Montagnards : le culte est interdit, les prêtres sont proclamés hors-la-loi et déportés, les fêtes religieuses sont supprimées et le calendrier grégorien est remplacé par son homologue républicain. Or, cette période ne dura qu’un temps puisque la chute de Robespierre le 9 thermidor an II (27 juillet 1794) inaugure un changement de majorité à la Convention et le retour de la liberté des cultes. Alors pourquoi les Sagraniers craignent-ils pour leurs ministres ?
Bien que la Convention ait promulgué la loi du 7 vendémiaire an IV qui autorise les prêtres à exercer le culte, à condition qu’ils aient prêté serment de soumission, elle vote le 3 brumaire suivant, juste avant de s’éclipser, un nouveau décret stipulant entre autres que « les lois de 1792 et 1793 contre les prêtres sujets à la déportation et à la réclusion seront exécutées dans les 24 heures ». Liberté de culte n’est pas synonyme d’amnistie pour les prêtres réfractaires.

Cette simple phrase est un nouveau pavé dans la mare à peine apaisée, et va rapidement enflammer les esprits d’un groupe d’insurgés de Salers et des environs. 
La colère de ces hommes et de ces femmes se tourne aussitôt vers les symboles de la République. Très attachés à leur religion dont on avait tenté de les priver, et à leurs curés, qui revêtent bien plus qu’une simple autorité spirituelle, des habitants de Saint-Bonnet-de-Salers et de Salers prennent d’assaut la maison du maire de Salers, Raymond Claux, le 11 brumaire dans la soirée, et exigent que ce dernier leur remette ses armes. C’est sans doute à cette occasion que la lettre anonyme est déposée.
 
Elle sera ensuite transmise au greffe de la police de sûreté du canton de Salers, qui la transcrira dans ses registres. Cette lettre laisse transparaître des sentiments très forts : le clergé s’est soumis une première fois au serment, il n’est plus question de se laisser faire et de risquer de le perdre une nouvelle fois. Il est clair, dans cette lettre, que les prêtres ne sont pas à l’origine de cette rébellion. C’est un mouvement qui vient du peuple, le « peuple du canton de Salers », prêt à se sacrifier pour ses curés. Mais les victimes peuvent également se faire bourreau, et menacer le maire s’il fait exécuter le décret : « Périssent les tyrans de la Patrie ! » 

Faute d’avoir pu trouver des armes chez leur première cible, les émeutiers se rendent alors à la maison commune, défoncent le portail et font main basse sur les fusils à baïonnette. Vers minuit, l’attroupement s’est dispersé et le maire sort prudemment de sa tanière pour dresser le procès-verbal de ce qui vient de se passer.
Mais les insurgés n’en ont pas terminé. Dès le lendemain soir, ils sont de retour, armés de leur butin de la veille, de fourches et de faux, et coupent les arbres de la liberté et de la fraternité. Certains auraient même crié « Vive le Roi ! », même si la colère est avant tout dirigée contre les « tyrans » de la République, ennemis de la religion. La lettre n’est en effet pas écrite par un royaliste, au contraire. Les principes républicains sont déjà fortement ancrés dans les esprits, pour lesquels « la loi n’[est] que l’expression de la volonté générale ». 

L’émeute se termine de façon tragique : alors que le groupe révolté se trouve chez le procureur de la commune pour réquisitionner son fusil, ce dernier accepte de le leur remettre mais, par sécurité, préfère décharger son unique balle en tirant en l’air. Dans la confusion, le tir part au mauvais moment et touche mortellement l’un des insurgés.

Ayant pris ses jambes à son cou, le procureur échappe de peu à la fureur de la foule. Après une course poursuite rocambolesque, il parvient à se réfugier dans l’église et à se placer sous la protection… du curé, qui fort heureusement n’avait pas été déporté !

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