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"Voulant préférer miséricorde à la rigueur des lois"

lettre de rémission de Louis XV en faveur d'un criminel (1730)

Le document présenté ce mois-ci est une lettre de rémission accordée à Jean Griffeuille, domestique, originaire du village de la Cassaigne (aujourd’hui Lacassagne), paroisse de Labesserette. La lettre de rémission est un acte de la Chancellerie par lequel le roi octroie son pardon, sa grâce ou son indulgence, à la suite d’un crime ou d’un délit, allant contre le cours ordinaire de la justice. Toutefois, si la procédure de rémission exonère le justiciable de sa condamnation, elle n’en n’est pas pour autant une amnistie. Le crime ou délit n’est pas effacé, même s’il est désormais défendu d'y faire allusion et d’en exiger réparation. Sous le règne de Louis XV, le fonctionnement de la justice pénale est régi par l'ordonnance criminelle dite de 1670. Voulue par Louis XIV, cette grande ordonnance est l'un des premiers textes français reprenant de nombreuses règles de procédure pénale. Signée à Saint-Germain-en-Laye en août 1670, enregistrée par le Parlement de Paris le 26 août, c’est en quelque sorte le premier Code de procédure pénale français en vigueur du 1er janvier 1671 jusqu'à la Révolution française. Son titre XVI traite des « lettres d'abolition, rémission, pardon, pour ester à droit, rappel de ban ou de galères, commutation de peine, réhabilitation et révision de procès ». C’est dans ce cadre que le roi peut octroyer ses lettres de rémission.

      Comme le rappelle Louis XV en préambule, il est de tradition pour les rois de faire montre d’indulgence et d’accorder leur pardon à certains condamnés lors de grands évènements royaux : « Nous avons crü de[voir] marquer par des mesures de clémen[ce et] de charité l’heureux Evenement de la Naissance de notre très cher et très aimé fils le Dauphin et nous conformer à ce qu’on fait en pareille occasion les Roys nos prédécesseurs ». La naissance du dauphin Louis de France, le 4 septembre 1729, est ainsi l’occasion pour le Louis XV de faire valoir ce droit. « Cependant et pour n’admettre à la participation des graces qui seraient accordées que ceux dont les crimes seraient jugés rémissibles, nous avons donné les ordres et les instructions nécessaires aux commissaires qui ont été par nous députés pour examiner les procès criminels et procéder aux interrogatoires des coupables qui étaient détenus dans les prisons de la ville de Paris ». La procédure prévoit en effet que les prisonniers qui se trouvent dans les prisons des villes où se déroulent les événements en question, dans ce cas présent Paris et Versailles, ou qui ont pu s’y rendre à temps, sont interrogés sous l’autorité du grand aumônier et de maîtres des requêtes commissionnés par le roi.  Les raisons de leur détention sont alors consignées dans divers rôles, dont l’un est celui des prisonniers dont les crimes sont jugés rémissibles par les commissaires.

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      Parmi eux, Jean GRIFFEUILLE, « domestique fils d’un pauvre laboureur du lieu de la Cassaigne en notre province d’Auvergne ». Il est accusé d’avoir accidentellement tué Marie Fabre d’un coup de carabine. La lettre rapporte très précisément les circonstances du drame : « le dix sept octobre mil sept cent sept, étant pour lors âgé de seize ans et trois mois, il revint de son travail sur les quatre à cinq heures du soir en la maison de son père ou ayant aperçu une carabine qu’avait aporté un de ses beaufrères nouvellement arrivé d’Espagne qui lui parut d’une construction particulière, il la prit pour l’examiner. La sœur du suppliant et Delphine Fabre, fille du même village, qui étaient dans la chambre voulurent aussy la voir et lui demandèrent si la carabine était chargée ; le supliant leur dit qu’il ne le croyait pas attendu qu’il n’y avait point de poudre dans le bassinet, cela engagea ladite Fabre à s’approcher de lui et même à prendre par le bout ladite carabine comme pour la luy arracher. Le supliant qui était persuadé qu’elle n’était point chargée, fit de sa part quelques mouvements pour la retenir, lesquels ayant fait partir la carabine, ladite Fabre en reçu le coup dans la poitrine dont elle mourut le lendemain. Et quoique ce malheur fut arrivé par un cas fortuit imprévu et un accident involontaire de la part du supliant, les officiers du présidial d’Aurillac l’ont condamné à mort par contumace ». Cette peine peut paraître sévère à nos yeux mais elle n’est pas inhabituelle en ce début de XVIIIe siècle. En effet, les sanctions appliquées sous l'Ancien Régime, à l'homicide involontaire, sont d'une extrême sévérité. Les notions d'homicides volontaire et involontaire ne sont pas encore clairement séparées en droit et la procédure engagée reste identique. Les juges n’ont pas à tenir compte des circonstances particulières d’un homicide puisque la seule peine prévue est la peine de mort. Jean Griffeuille devait en avoir conscience puisqu’il ne s’est pas présenté à son procès, préférant certainement s’enfuir.

      La société d’Ancien Régime conçoit tout de même que l’intentionnalité de l’acte a son importance. L’ordonnance pénale de 1670 prévoit que « les lettres de rémission seront accordées pour les homicides involontaires seulement, ou qui seront commis dans la nécessité d'une légitime défense de la vie ». C’est bien le cas de Jean Griffeuille dont le roi admet qu’il est obligé de « recourir à notre clémence et de nous suplier très humblement de luy accorder nos lettres de grace, remission et pardon qui luy sont nécessaires à ces causes voulant préférer miséricorde à la rigueur des lois ». L’homicide involontaire est ainsi caractérisé par l'obtention de cette lettre qui met un terme à la procédure engagée : « toutes peines, amandes et offenses corporelles civiles et criminelles qu’il peut avoir pour raison de ce encourües envers nous et justice mettons au néant tous [ ?] sentence et contumaces jugements et arrêts qui peuvent s’en être ensuivis ». De plus, l’accusé est pleinement rétabli « en sa bonne renommée et en ses biens ». Pour pouvoir être authentifiées, ces lettres produites par la grande Chancellerie étaient ensuite scellées d’un grand sceau de cire jaune, lequel n’a malheureusement pas été conservé. Vingt-trois ans après les faits, même s’il n’est pas pour autant innocenté, Jean Griffeuille est désormais libre. Sa liberté et sa vie ne tiennent toutefois qu’à la bonne volonté du monarque « car tel est [son] plaisir ».

     La grâce présidentielle inscrite dans la Constitution de la Ve République est un héritage de cette pratique d’Ancien Régime. Comme le monarque, le président a la possibilité de pardonner par le décret de grâce. Mais de moins en moins légitime aux yeux de l’opinion française, et en contradiction avec le principe de séparation des pouvoirs, son usage s’est peu à peu réduit à des cas exceptionnels. 

Document rédigé par Nicolas Laparra

Cote ADC : archives anciennes de l’hôpital d’Aurillac en cours de classement

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