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  A la recherche du confort moderne: températures préconisées et ressenties à l'hôpital d'Aurillac (vers 1891)

                                                                                                                              

Entre réchauffement climatique et crise énergétique, la période actuelle est à la sobriété énergétique. Une des mesures emblématiques proposées dans les différents plans de sobriété est la baisse de la température de chauffage de nos intérieurs. Les nombreux débats suscités par cette question et l’importance qui lui a été accordée dans les médias à l’automne dernier montrent bien qu’il s’agit d’un sujet sensible. Quelle est la température idéale permettant d'allier confort thermique et économies d'énergie ? Il s’est peu à peu dégagé un consensus autour d’une température moyenne de 19° C. Trop chaud pour certains, trop froid pour d’autres, elle semble correspondre à la température acceptée de nos jours par le plus grand nombre : toutefois, il n’en a pas toujours été ainsi.

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Le document présenté ce mois-ci, et découvert lors du classement des archives anciennes de l’hôpital d’Aurillac, est un tableau de la température à obtenir dans les différentes pièces de l’asile d’aliénés suite à l’installation d’un système de chauffage central. Ainsi, les températures intérieures prévues en période de froid (température extérieure de - 10° C) varient de 12° à 15° C selon les pièces : 15° C pour l’infirmerie, les bains, les cellules et le logement du gardien mais seulement 12° C pour les bâtiments accueillant des malades. On peut noter que les différents bâtiments sont affectés en fonction de la pathologie des patients qu’ils accueillent : « contagieux », « tranquilles », « agités », « gâteux » ou « épileptiques ». On remarque aussi que la terminologie employée a fortement évolué depuis la fin du XIXe siècle avec les progrès de la psychiatrie.

Longtemps situé dans le quartier des Carmes, l’hôpital déménage en 1892 vers son site actuel de l’avenue de la République. En 1876, la municipalité acquiert les terrains des enclos Combes et Sarret qui serviront pour la construction du nouvel hôpital-hospice entre 1890 et 1893. C’est dans ce contexte qu’est prévue l’installation du chauffage central à l’asile d’aliénés. L’architecte Lucien Magne, en charge des travaux, rédige un rapport sur les divers systèmes proposés pour le chauffage avec l’emploi, au choix, de l’air chaud, de l’eau chaude ou de la vapeur. Bien qu’il n’ait pas sa préférence, mais compte-tenu de la modicité du budget dont il dispose, Lucien Magne opte pour le chauffage par circulation d’eau chaude. Il le présente tout de même comme un progrès en regard du chauffage avec poêles dont il nous dit que « l’usage est presque complétement abandonné aujourd’hui » puisqu’ils ont « l’inconvénient de donner un chauffage inégal » et « sont donc insuffisants pour satisfaire aux nombreuses exigences des établissements hospitaliers ». Pourtant, dès 1893, dans un courrier du 19 janvier, l’autorité militaire se plaint du chauffage des salles et chambres dévolues aux militaires. Une convention entre le département de la Guerre et la commission administrative de l’hospice stipule que la température devra être maintenue à 15° C. Mais le médecin-chef signale qu’en ce mois de janvier, malgré le chauffage, elle ne dépasse pas les 6° C : « Il estime, en outre, qu’il y aurait lieu pour suppléer à l’insuffisance du chauffage, de faire placer immédiatement dans les salles, comme il l’a réclamé à plusieurs reprises, des poêles dont on ferait provisoirement passer le tuyau par le carreau d’une fenêtre »

Ces températures peuvent nous paraître aujourd’hui, pour le moins très fraîches, voire glaciales, selon le ressenti et les habitudes de chacun. Ces dernières décennies plusieurs historiens se sont intéressés à ces questions et ont étudié l’évolution de notre sensibilité au froid à travers les âges. L’historien Olivier Jandot qui a notamment travaillé sur le XVIIIe siècle rappelle que « quand on lit les témoignages de l'époque […] : on est face à un univers qui est complètement différent du nôtre, aussi bien sur le plan des températures qui régnaient à l'intérieur des habitations, que des sensations durables, du rapport au froid qui était complètement différent ». Ce n'est qu'à la fin du XVIIIe siècle que naît l'idée de température de confort. « On commence à réfléchir à la question du chauffage car on est dans une période de crise énergétique. La rareté croissante du bois à cause des besoins de la marine et de l'industrie naissante fait qu'il devient de plus en plus cher. Une partie de la population n'y a plus accès », ajoute l'historien. Pour la première fois, on réalise des mesures de températures et les médecins considèrent qu'une température de 12° C à 15° C chez soi est tout à fait acceptable.

Ce n'est qu'à partir du XXe siècle que la valeur des températures préconisées augmente. Le seuil des 19° C se fixe autour des années 1970, jusqu'à monter progressivement à 20°C. Renan Viguié, autre historien, a établi une courbe des températures préconisées pour le chauffage de la pièce principale des habitations au XXe siècle. S’appuyant sur diverses sources, de la littérature technique et éducative, de la documentation juridique mais aussi publicitaire, il a mis en évidence que la température idéale est en réalité une construction sociale et culturelle, répondant à des « considérations qui peuvent être techniques, mais aussi morales, médicales, sociales, environnementales ou économiques ».

En France, ce sont les chocs pétroliers des années 1970, et les politiques de réduction de la consommation d’énergie, qui ont conduit à un processus de normalisation des températures intérieures. Au vu des dernières recommandations gouvernementales, il semble que nous l’ayons oublié, mais dès 1974 la loi fixe une température maximum autorisée dans les logements de 20° C, puis 19° C en 1979. La diffusion de cette norme par le haut ne doit pas occulter l’influence des consommateurs, de leurs pratiques et de leurs habitudes quotidiennes. Ces débats sur la nécessité d’une sobriété énergétique auraient pu aboutir à un retour aux normes de confort de la première moitié du XXe siècle avec une température de 15-16° C. La température couramment admise aujourd’hui, autour des 19° C, est donc le fruit d’un compromis entre cette volonté de sobriété et les pratiques sociales qui font qu’on imagine mal aujourd’hui un retour aux normes du début du XXe siècle, pourtant bien plus économes et moins polluantes.

Sources : « Une courbe pour bien se chauffer. Les températures de chauffage préconisées au XXe siècle » par Renan Viguié, dans Flux, 2020, n° 121, pages 102 à 107 ; Les délices du feu. L’homme, le chaud et le froid à l’époque moderne par Olivier Jandot. – Edition Champ Vallon, 2017, 352 pages.

Note rédigée par Nicolas LAPARRA                                                                                 

                                                                                                                                            
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