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Les Annales de Lakairie : itinéraire d'un enfant de la Révolution

2025 09 01

Les archives départementales du Cantal ne conservaient jusqu’à présent que des extraits des Annales de Jean-Baptiste Lakairie, célèbre chroniqueur de la vie sociale, économique, politique d’Aurillac et du département durant la période révolutionnaire. L’acquisition récente de 21 cahiers supplémentaires, formant le fonds 122 J, complète l’ensemble déposé par la ville d’Aurillac et donne l’occasion de revenir sur le parcours de ce témoin de premier ordre de ces années de transition mouvementées.

Jean-Baptiste Lakairie débute la rédaction de ses chroniques dès avant la Révolution et l’achève en 1818, sous la Restauration. Malheureusement, il choisit de détruire en 1793, le recueil débuté en 1789, par peur de représailles contre lui et sa famille. Au sein de ces pages il détaille, assez naturellement, sa vie personnelle, mais c’est sur sa vie professionnelle et publique qu’il convient de s’arrêter.
Jacobin, entré dans les bureaux de l’administration en 1792, il est emprisonné en 1793 en raison de ses opinions modérées. Il figure sur la liste des suspects établie par Carrier, au n°78, sous les termes d’« ennemi et calomniateur de la Montagne, grand partisan du Marais ; provocateur de la force départementale et du fédéralisme ». En l’an III, il fonde le Décadaire du Cantal où il n’hésite pas à dénoncer les « terroristes de l’An II ». Tour à tour commis, sous-chef de bureau et administrateur, il prête serment de fidélité à la République de Bonaparte, y voyant un continuateur des idéaux de 1789.
Il ouvre en l’an X, un cabinet de lecture situé rue du Consulat, dédié aux philosophes et aux nouveautés littéraires. Grand critique du préfet Riou, il est remercié le 1er vendémiaire an XIV (23 septembre 1805) : « le préfet a réformé 5 employés : Chablate, Hérault Aimé, Bondele ; Deldevez et Lakairie…la providence ne daigne jeter sur moi un regard consolant et ma chère famille, que va-t-elle devenir ? »

Jour après jour, Lakairie note dans ses cahiers la situation politique. Ainsi, le 16 prairial an XII (5 juin 1804) : « les autorités civiles et militaires se sont rendues à l’hôtel de la Préfecture pour y prêter le serment aux constitutions de l’empire et de l’empereur ». Ou encore, à propos de la réinstallation de Louis XVIII sur le trône : « enfin les journaux nous ont annoncé l’entrée de Louis XVIII à Paris, le 8 de ce mois, aussitôt des drapeaux blancs ont été arborés aux fenêtres des maisons près de la place des cocardes blanches se sont montrées partout, les lys ont reparu […] partout des cris de ‘vive le Roi’ cependant ce cri n’était pas universel […] on a replacé le buste de Louis XVIII à la place de Napoléon. »

Ces écrits révèlent également un homme sensible aux inégalités sociales, comme en témoigne cette note du 5 avril 1812 : « J’ai lu une lettre de Maurs qui annonce que la misère est à son comble, qu’on y craint chaque jour que des malheureux ne se portent chez les propriétaires aisés, qu’on ne vit que de farine de millet, de pomme de terre, qu’il y a des petits propriétaires qui n’ont pas mangé de pains depuis 2 mois ». Ou encore, le 27 février 1816 : « J’ai le cœur navré de savoir tant d’infortunés et de ne pouvoir les soulager, quelle ville ! où l’on ne trouve pas un établissement en faveur de l’humanité ! »

Tout au long de la lecture de ces annales, apparait un anticléricalisme marqué. Chrétien, enfant de chœur jusqu’à ses 17 ans, Lakairie est marqué par les abus des prêtres et des confréries qu’il n’hésite pas à dénoncer :« Jamais les chenilles n’ont fait plus de dégâts dans les jardins, il est des carreaux de champ tout rongés…C’est au point que le vicaire de Saint-Géraud a été exorciser ces insectes dans le jardin du petit couvent des religieuses près de ladite église ! Il y a de quoi lever les épaules…imbéciles ou tartuffes ! Si au printemps on échenillait ainsi que le gouvernement le recommande cela n’arriverait point, mais il vaut mieux laisser croire que c’est une malédiction de Dieu… » (27 septembre 1813). Il note aussi, le 2 septembre 1818 : « On a fait la distribution des prix aux élèves de l’école l’enseignement mutuel […] l’absence totale des prêtres ne m’a pas surpris, ces tartuffes ont beau faire leurs efforts pour dénigrer cette précieuse méthode tourneront à leur honte. Pourquoi certains magistrats montrent-ils pour ces prêtres une déférence dont ils sont indignés ? » Lakairie rappelle d’ailleurs au début de ses cahiers : « Je reconnais un Dieu principe de tout être mais le Dieu que je sers n’est pas celui des prêtres ».

Personnalité majeure d’Aurillac, dont il devient l’archiviste municipal en décembre 1814, Lakairie évoque abondamment la vie de sa commune. L’installation des Haras est ainsi racontée, le 1er mars 1806 : « Depuis quelques jours on a placé dans la dite église de la Visitation le dépôt d’étalons fondé par le gouvernement à Aurillac. On a fait une belle écurie de la dite église. Il y a 25 chevaux qu’on distribuera pendant l’été et qui seront reconduits au dépôt pendant l’hiver. » Il note également les aménagements urbains : « On construit un canal souterrain dans la rue des Tanneurs pour recevoir les eaux provenant du canal d’Aurinques dont le cours était arrêté lorsque les eaux du grand canal qui longe la promenade étaient grosses. Le nouveau canal recevra les égouts des tanneries qui coulaient sur le pavé et nuisaient à la salubrité. On pavera cette rue. Son nom était autrefois rue de Gourgues. » (16 juillet 1818). Le 1er décembre 1816, il nous apprend que « d’après le dernier recensement de la population de la ville, [elle] est de 9180 âmes, la banlieue comprise, ce qui occasionnera une diminution dans les impôts indirects, la population de la ville est de 8265 âmes. »

Il n’omet pas non plus de préciser le temps qu’il fait et les répercussions que cela engendre, ainsi le 31 décembre 1808 : « Cette année a été bonne en général. Il y a eu peu de châtaignes, mais dans les autres fruits une abondance remarquable. L’automne a été une pluie presque continuelle. Les semences ont été très retardées et pendant quelques jours le blé a souffert une augmentation sensible […]. » Le 26 avril 1816, il relève également qu’ « il règne beaucoup de maladies dans les campagnes et il y a une mortalité plus qu’ordinaire, on doit l’attribuer à la longueur de la mauvaise saison, à son inconstance, à la privation d’aliments sains. » Lakairie se révèle favorable au vaccin : « La petite vérole fait beaucoup de ravages, plusieurs personnes s’obstinent à évoquer les doutes des effets de la vaccine. Les enfants sont les victimes de l’entêtement de parents ignorants. On doit prendre des mesures pour vaincre tous ces obstacles » (5 messidor an XII).

Libre, critique et observateur, Lakairie est tout de même autorisé à publier une nouvelle feuille officielle en juillet 1806, le Bulletin du département du Cantal. Y sont annoncées des nouvelles politiques, économiques recopiées du Moniteur, des lois, décrets impériaux, actes administratifs, annonces littéraires, immobilières ou des travaux publics départementaux. Il ferme sa librairie, qui a commencé à péricliter en 1810. Pour vivre, il colporte des livres sur les foires et marchés ; ses talents musicaux lui permettent aussi d’animer des bals et des mariages, son aptitude en dessin est aussi prisée des brodeuses. Erudit et fin connaisseur de l’histoire locale, il poursuit en parallèle ses recherches sur différents lieux du Cantal. Réintégré dans les bureaux de l’administration départementale en 1816, il est de nouveau victime d’une baisse des effectifs en 1818. Il décède le 19 avril 1822 à Aurillac.

Cotes ADC : 122 J et E DEP 1500/410

Note rédigée par Laure Barbet

BOURDIN (Philippe), « Confessions d’un enfant de chœur : Jean-Baptiste Lakairie (1765-1829) », dans DOMPNIER (Bernard), Les bas chœurs d’Auvergne et du Velay, le métier de musicien d’église aux XVIIe et XVIIIe siècles, Collection Etudes sur le Massif central, 2010, p. 205-254.
BOURDIN (Philippe), « Jean-Baptiste Lakairie (1765-1822), un intellectuel aurillacois en politique, témoin critique de son temps », Revue de la Haute-Auvergne, 2022, p. 251-282.


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